J.O. 289 du 13 décembre 2005
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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 29 novembre 2005 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2005-527 DC
NOR : CSCL0508878X
LOI RELATIVE AU TRAITEMENT DE LA RÉCIDIVE
DES INFRACTIONS PÉNALES
Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de déférer à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales.
A titre liminaire, et afin d'éviter tout mauvais procès d'intention lié à la présente saisine, ses auteurs entendent rappeler leur attachement républicain au droit à la sécurité pour tous et au maintien de l'ordre public comme un des éléments d'une société garantissant le respect de l'autre. Pourtant, l'Etat de droit ne peut, et ne doit, se satisfaire de dispositions dont la rédaction, le sens caché et les possibilités de mise en oeuvre sont, à l'évidence, de nature à porter atteinte, en soi ou de façon disproportionnée, aux droits et libertés constitutionnellement protégés. La conciliation qu'il convient d'opérer entre certains droits constitutionnels doit reposer sur un équilibre qui ne saurait se satisfaire des effets d'affichage ou d'annonce sans réelle efficacité prouvée. Les auteurs de la saisine souscrivent pleinement à votre propre jurisprudence qui rappelle que l'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion (décision du 20 janvier 1994).
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I. - Sur l'article 7 de la loi
Cet article a pour objet de renverser l'un des principes de notre droit pénal en rendant désormais obligatoire le mandat de dépôt à l'audience à l'encontre des auteurs en état de récidive légale pour des délits d'agressions sexuelles ou de violences volontaires ou commis avec la circonstance aggravante de violence. Le juge pouvant toutefois en décider autrement à la condition cependant de motiver spécialement sa décision. Sous la réserve de cette exception, le juge pénal voit donc son pouvoir d'appréciation en matière de liberté individuelle contraint et limité.
Une telle prescription inverse donc un des principes fondamentaux de notre droit pénal en faisant de la liberté individuelle l'exception et de la détention la règle, sans qu'aucune justification suffisante tenant à l'objectif de poursuite de l'ordre public puisse être sérieusement invoquée.
Il s'ensuit, d'une part, une violation de l'article 9 de la Déclaration de 1789 et de l'article 66 de la Constitution (I-1). D'autre part, l'indépendance de l'autorité judiciaire est méconnue par l'injonction qui lui est faite de se prononcer dans un sens obligé en matière de liberté individuelle (I-2).
I-1. On rappellera pour simple mémoire que l'article 9 de la Déclaration de 1789 proclame : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » et que l'article 66 de la Constitution dispose pour sa part que : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »
Il ressort de l'article 9 de la Déclaration de 1789 que l'interdiction d'arrêter une personne est la règle : le juge doit expliquer pourquoi il la place en détention et non pourquoi il ne la place pas en détention.
Selon votre jurisprudence, il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère l'article 66 de la Constitution en tant que gardien de la liberté individuelle, décidé par une décision juridictionnelle qu'une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l'attente, le cas échéant, de celle du juge d'appel (décision no 2002-461 DC du 22 août 2002).
C'est dire la force de ce principe dans notre droit pénal.
C'est illustrant l'équilibre nécessaire entre protection de la liberté individuelle, présomption d'innocence, nécessité et personnalisation des peines, d'une part, et préservation de l'ordre public, d'autre part, que l'actuel article 708 du code de procédure pénale dispose que l'exécution de la peine a lieu lorsque la condamnation est devenue définitive, c'est-à-dire insusceptible de voies de recours, sauf si la juridiction fait usage de son pouvoir de prononcer un mandat de dépôt ou d'arrêt à l'audience (voir les articles 465 et 397-4 du code de procédure pénale). L'objectif de protection de l'ordre public est donc déjà pleinement satisfait dans notre actuelle procédure pénale laquelle fait prévaloir la liberté comme règle et le placement en détention comme dérogation dûment justifiée par les circonstances de l'espèce.
C'est donc en vain que l'on prétendrait que l'objectif de protection de l'ordre public justifie la disposition critiquée. En réalité, la procédure existante qui permet à la juridiction de délivrer un tel mandat de dépôt à l'audience en considération de la dangerosité de l'individu en cause et de sa personnalité et des circonstances de l'affaire satisfait déjà l'intérêt général et le droit à la sécurité pour tous.
Cette double atteinte à la liberté individuelle et à la présomption d'innocence a été amplement soulignée pendant les débats, y compris lors de la commission mixte paritaire. Monsieur le rapporteur du texte pour le Sénat a ainsi fait valoir que cette mesure, malgré les tempéraments dont elle est assortie, paraît de nature à « porter atteinte à la fois au principe de la liberté individuelle (puisque la détention deviendrait le principe et la liberté l'exception) et à celui de la présomption d'innocence (dans la mesure où la personne n'est pas définitivement condamnée et qu'elle pourrait être relaxée si elle faisait appel) » (Sénat, no 171, page 47). Le vote négatif émis par deux fois par la Haute Assemblée en témoigne évidemment.
Dès lors que cette mesure n'est pas fondée sur le motif objectif et rationnel d'une quelconque nécessité impérieuse pour l'ordre public, force est d'admettre que le législateur a porté atteinte à un principe constitutionnel de notre droit pénal. Dans ces conditions, la disproportion manifeste de cette mesure ne peut qu'être relevée et la censure prononcée.
I-2. En tout état de cause, cet article , qui fait obligation à l'autorité judiciaire de prononcer une mesure de privation de liberté alors que la condamnation n'est pas définitive, aboutit à ce que le législateur édicte une injonction de faire au juge du siège en visant le coeur même de sa mission : la protection de la liberté individuelle et la plénitude de son pouvoir de juger.
Il s'en évince une atteinte manifestement excessive et non justifiée à l'indépendance de la justice. La séparation des pouvoirs est alors atteinte.
C'est ainsi que vous avez classiquement jugé « qu'il résulte des dispositions de l'article 64 de la Constitution en ce qui concerne l'autorité judiciaire et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en ce qui concerne, depuis la loi du 24 mai 1872, la juridiction administrative, que l'indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le Gouvernement ; qu'ainsi, il n'appartient ni au législateur ni au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d'adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence » (décision no 80-119 DC du 22 juillet 1980).
L'article critiqué a bien pour objet de rendre obligatoire, sauf dérogation spécialement motivée, le placement sous mandat de dépôt de la personne ayant comparu dans les conditions précitées. Cette obligation ainsi faite au juge judiciaire d'user d'une certaine manière de son pouvoir en matière de liberté individuelle aboutit à ce que le législateur se substitue à lui dans l'appréciation concrète des litiges relevant de sa compétence ou, à tout le moins, lui adresse une consigne générale et absolue de se prononcer dans le sens de la privation de liberté pour toute une catégorie d'affaires pénales pourtant non définitivement jugée. C'est la plénitude de la fonction de juger qui est ici réduite de façon gravement disproportionnée en même temps que la présomption d'innocence est atteinte. Ce n'est pas la faculté résiduelle qui est laissée au juge de renverser, par exception, cette injonction qui peut purger le vice d'atteinte à son indépendance. Bien au contraire : l'obligation qui lui revient de motiver « spécialement » sa décision de ne pas déférer à l'injonction du législateur montre la contrainte intellectuelle et pratique qui pèse sur l'autorité judiciaire dont l'indépendance constitue une garantie pour l'Etat de droit.
En revanche, exprimer sous couvert d'une mesure d'apparence technique une défiance radicale envers les juges du siège ne peut que contribuer à un affaiblissement grave de l'institution judiciaire. La légitime émotion que provoquent certaines affaires parfois tragiques ne saurait fonder un placement sous contrôle autoritaire de la fonction de juger alors même que l'autorité judiciaire a, heureusement, déjà tous les pouvoirs pour priver de liberté dès que nécessaire la personne dangereuse pour la sécurité des personnes et des biens.
L'atteinte aux principes constitutionnels qui garantissent l'existence d'une justice indépendante afin, notamment, de garantir les libertés individuelles et la présomption d'innocence ne peut qu'être constatée et la censure prononcée.
II. - Sur l'article 41 de la loi
Cet article a pour objet de placer sous surveillance électronique les personnes déjà condamnées à la date d'entrée en vigueur de la présente loi. Dans sa rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire, il dispose que :
« Quelle que soit la date de commission des faits ayant donné lieu à la condamnation, sont immédiatement applicables :
1° Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 721 du code de procédure pénale, dans leur rédaction résultant de l'article 12 de la présente loi, pour les condamnations mises à exécution après la date d'entrée en vigueur de cette loi ;
2° Les dispositions de l'article 731-1 du code de procédure pénale, dans leur rédaction résultant de l'article 22 de la présente loi [La personne faisant l'objet d'une libération conditionnelle peut alors être également placée sous surveillance électronique mobile dans les conditions et selon les modalités prévues par les articles 763-10 à 763-14], pour les condamnations en cours d'exécution après la date d'entrée en vigueur de cette loi.
Les dispositions de l'article 723-36 du code de procédure pénale, dans leur rédaction résultant de l'article 13 de la présente loi et qui interdisent le recours à la surveillance judiciaire lorsque la personne a été condamnée à un suivi socio-judiciaire, ne sont pas applicables aux condamnations prononcées pour des faits commis avant l'entrée en vigueur de cette loi. »
Cet article dans sa version initiale a conduit à ce que le Sénat, à l'instar d'une large partie de la doctrine et de nombreux observateurs, mette en garde contre la grave méconnaissance du principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère que consacre l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et que rappelle abondamment votre jurisprudence. Au point que le ministre de la justice s'est vu conduit à demander, dans une intervention désormais fameuse, de ne pas vous saisir pour éviter votre censure.
La version définitive du texte telle qu'elle résulte de la rédaction arrêtée en commission mixte paritaire laisse entière la question ainsi posée.
Dans ces conditions, les auteurs de la présente saisine soumettent à votre vigilance cet article dont la contrariété à l'un des principes fondateurs de l'Etat de droit aura scandé l'examen de la présente loi.
II-1. En premier lieu, si la qualification de peine était retenue pour ce qui concerne la mesure de placement sous surveillance électronique, la censure au titre du principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères serait inévitable.
A cet égard, vous ne vous estimerez pas lié par la rédaction choisie - « mesure de sûreté » - et vous requalifierez la mesure concernée dès lors qu'il apparaît que son caractère punitif et sa nature de sanction sont bien ceux voulus, in fine, par le législateur.
Les travaux parlementaires apportent une réponse plus que claire sur ce point.
En effet, selon les propres mots de M. le ministre de la justice, il apparaît bien que le port du bracelet électronique constitue une peine puisqu'il déclarait devant le Sénat que « la surveillance électronique mobile ne pourra être prononcée à titre de peine qu'en cas de condamnation à au moins sept ans d'emprisonnement, alors que le Sénat avait fixé ce quantum à dix ans, et l'Assemblée nationale à cinq. Une moyenne a ainsi été trouvée » (Sénat, ministre de la justice, 22 novembre 2005).
On ne voit pas très bien dès lors comment ce qui est qualifié de « peine » ab initio peut se transformer soudainement en « simple mesure de sûreté » a posteriori. La nature de la mesure est bien fondamentalement la même. Il convient d'insister ici sur le fait qu'elle sera toujours prononcée par un juge - la formation de jugement ou le juge d'application des peines - et qu'elle fera peser sur l'individu ainsi visé une contrainte particulièrement forte dans sa vie quotidienne et, considérant la réalité du matériel utilisé, stigmatise son statut aux yeux de la société. C'est le sens du rapport du Sénat indiquant notamment que « par la contrainte qu'il fait peser sur le condamné, le placement sous surveillance électronique mobile n'est pas sans lien avec une sanction » (Rapport, Sénat, no 171). La circonstance que, dans le dispositif critiqué, ce soit le juge d'application des peines qui soit conduit à prononcer la mesure ne doit pas masquer le fait que cela vaut spécialement pour la période transitoire dans laquelle s'inscrit l'article en cause. La rédaction proposée par la commission mixte paritaire en renvoyant au régime de libération conditionnelle est destinée à contourner l'impossibilité de prévoir rétroactivement que l'on rejuge une personne déjà condamnée !
C'est pourquoi, au regard des contraintes que ce placement sous surveillance électronique organise pour la personne y étant soumise, il n'est ici pas fondé d'établir un parallèle avec votre décision relative aux obligations pesant sur les personnes inscrites sur le fichier des délinquants sexuels et que vous avez qualifiée de « mesure de police ». Ainsi, pour exemple, la prescription selon laquelle le condamné placé sous surveillance électronique mobile est astreint au port, pendant toute la durée du placement, d'un dispositif intégrant un émetteur permettant à tout moment de déterminer à distance sa localisation sur l'ensemble du territoire national (nouvel article 763-11 du CPP tel que rédigé par la présente loi) ne saurait être assimilé à l'indication de sa nouvelle adresse aux services de police.
La censure est donc encourue.
II-2. En second lieu, et en tout état de cause, vous avez jugé à plusieurs reprises que l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 s'applique largo sensu et considéré que le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères ne concerne pas seulement les peines appliquées par les juridictions répressives, mais s'étend nécessairement à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a cru devoir laisser le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire (décision no 82-155 DC du 30 décembre 1982 ; décision no 87-237 DC du 30 décembre 1987).
C'est dans ce droit fil que vous avez jugé que « le principe ainsi énoncé ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives, mais s'étend à la période de sûreté qui, bien que relative à l'exécution de la peine, n'en relève pas moins de la décision de la juridiction de jugement qui, dans les conditions déterminées par la loi, peut en faire varier la durée en même temps qu'elle se prononce sur la culpabilité du prévenu ou de l'accusé » (décision no 86-215 DC du 3 septembre 1986, cons. 22 à 24).
Vous avez encore rappelé cette règle en « considérant que les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent au régime des mesures de sûreté qui les assortissent » (décision no 93-334 DC du 20 janvier 1994).
La Cour de cassation a statué récemment dans ce sens au terme d'une motivation sans ambiguïté en qualifiant le suivi « socio-judiciaire » de peine complémentaire et jugé qu'en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, qu'il ne pouvait s'appliquer à des faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi (Crim. 2 septembre 1984).
La disposition critiquée mérite donc votre censure.
II-3. En dernier lieu, il convient de remarquer que l'application rétroactive de la mesure de placement sous surveillance électronique pour les personnes déjà condamnées et bénéficiant d'une mesure de libération conditionnelle ne pourra pas se faire dans le respect des prescriptions des nouveaux articles 763-10 à 763-14 du CPP qui prévoient une procédure précise, en particulier en matière de délais pour procéder à certaines évaluations.
Ainsi, l'article 763-10 prévoit qu'un an au moins avant la date prévue de sa libération, la personne condamnée au placement sous surveillance électronique mobile en application des articles 131-36-9 à 131-36-12 du code pénal fait l'objet d'un examen destiné à évaluer sa dangerosité et à mesurer le risque de commission d'une nouvelle infraction.
Quant à l'article 763-12, il dispose que ce dispositif est installé sur le condamné au plus tard une semaine avant sa libération.
S'agissant de l'application rétroactive de ce dispositif, il est à considérer que, dans de nombreux cas, ces délais impératifs ne puissent pas être respectés. Dès lors aucune des garanties prévues par la loi pour la préservation de l'ordre public, comme pour la personnalisation des peines, ne peuvent être respectées.
C'est là un des effets désastreux de la méconnaissance du principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères. Les auteurs de la saisine s'en remettent donc à votre appréciation pour garantir les droits et libertés fondamentaux.
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Nous vous prions de croire, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.
(Liste des signataires : voir décision no 2005-527 DC.)